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LASA

Nathan Debayle

Doctorant en sociologie depuis 2020

Titre de la thèse

Les mondes du renard. Renards, agriculteurs, chasseurs, naturalistes : étude d’une cohabitation.

Résumé de la thèse

En 2018, un collectif de défense du renard se constitue dans le département du Doubs et s'organise autour d’acteurs de la protection de la nature et de quelques agriculteurs ralliés à la cause. En engageant un rapport de force avec la fédération de chasse et les institutions agricoles, ils révèlent l’incertitude des effets du renard sur humains et non-humains, et déclenchent ainsi une controverse autour de son statut juridique. Habituellement classé comme “espèce susceptible d’occasionnée des dégâts” cette controverse aboutit à la formation du consortium CARELI qui réunit représentants et techniciens des mondes de l’agriculture, de la chasse et de la protection de la nature pour convenir ensemble des effets du renard sur le “socio-écosystème” (Giraudoux 2021) selon son classement comme ESOD ou “protégé de fait”.

Dans ce cadre, la thèse cherche, à travers une enquête qualitative avec les acteurs de ces trois groupes, tout d’abord à comprendre les rapports qu’ils entretiennent avec le renard par-delà des “catégories naturalisées” dans un cadre juridique qui ne cesse de faire durer les antagonismes (Micoud 2006) puis à comprendre comment émerge une nouvelle figure du sauvage.


Partant du principe que ces rapports à la faune sauvage ordinaire sont situés et différenciés selon la place de chacun dans le monde social, nous pensons comme Vanessa Manceron que “à travers et avec les animaux, les différences et les singularités culturelles se proclament et se définissent ; les places et les systèmes de relations entre les êtres s’assignent et se discutent ; la légitimité des savoirs et des pouvoirs se défend” (Manceron 2009).

Ainsi chasseurs et éleveurs semblent ancrés dans une conception vernaculaire du rapport au sauvage dans laquelle l’animal sauvage doit être éloigné et farouche, à l’inverse de l’animal domestique proche et docile (Mauz 2002). Le renard, traditionnellement assigné à la figure de l’animal “nuisible” par excellence (B.Hell 1997), a été l’objet d’un processus de “réhabilitation” et de “re-problématisation” (Micoud 1993) et semble aujourd’hui respecter ce que Coralie Mounet nomme “un contrat sauvage” (Mounet 2008). En effet, en ne posant aujourd’hui plus les mêmes problèmes qu’auparavant (la rage par exemple) voire en ayant prouvé son utilité (nettoyer les champs agricoles des campagnols, désormais pensé comme “commun négatif” (Guicheteau, Michelin, Jeanneaux 2021)) il n’est plus un nuisible à détruire mais fait désormais partie de la “faune sauvage ordinaire” à surveiller et à réguler.

Si l’ontologie des chasseurs et éleveurs se réfère à un axe sauvage/domestique dans laquelle le chasseur rétablit le bon fonctionnement de l’ordre du monde dans la régulation du sauvage, les protecteurs de la nature ont une conception du sauvage qui se réfère à un axe nature/artifice dans lequel l’homme n’a pas à intervenir sauf à accélérer des processus qui doivent naturellement advenir (Mauz 2002). Ainsi le renard, espèce indigène qui suscite l’émerveillement des naturalistes par sa beauté, sa sympathie, sa capacité d’autorégulation et son utilité en tant que prédateur de campagnols a, et est à sa place sur le territoire (Mauz 2002). Ce faisant, il mérite une protection, ou du moins qu’on ne le détruise pas impunément comme un simple “nuisible” conduisant certains à “partir en campagne pour porter la bonne parole du renard” (membre du Collectif Renard Doubs).

Si la question du renard fait débat, Rémi Luglia nous rappelle que “les débats autour du « nuisible » révèlent les déséquilibres, les excès et les dysfonctionnements d’un territoire où manquent des connaissances, la reconnaissance entre acteurs et du dialogue “ (Luglia 2019). Malgré des rapports au sauvage différent, l’ensemble des acteurs reconnaissent la nécessité de compter, classer et gérer la faune sauvage. Cette controverse dessine ainsi le point de fuite d’une gestion concertée à laquelle il appartient encore aux acteurs d’équilibrer les rapports de force pour faire émerger une nouvelle figure du sauvage, et requalifier le renard de manière collective.