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LASA

Étude sociologique

Rapport aux haies, à l'intégration dans le paysage
et à la ressource en eau

en partenariat avec la Fédération départementale des chasseurs du Doubs 2021-2022 dans le cadre de la ZAAJ - Zone atelier Arc Jurassien

 

Responsables scientifiques :

Florent SCHEPENS

Simon CALLA

Laetitia OGORZELEC-GUINCHARD

 

Description : 

 

Contexte :

À partir des années 1960, les premières recherches s’intéressant aux plantations de haies ont été menées dans une perspective privilégiant la dimension agronomique. Faisant suite à une période d’arasement de talus et d’arrachage de haies lors d’opérations de remembrement, elles avaient pour objectif de comprendre la contribution de cette structure végétale spécifique au rendement agricole (Merot & Bridet-Guillaume, 2006). Ces études ont révélé qu’en assurant une fonction de protection microclimatique pour les cultures – notamment contre l’eau (érosion et régulation des ruissellements) et le vent (réduction des rendements) – les haies pouvaient offrir des services écosystémiques et être utiles aux agriculteurs. C’est en partie ce qui permet d’expliquer leur soutien aux projets de plantation tels que ceux réalisés depuis 2017 par la Fédération Départementale des Chasseurs du Doubs.

   L’attention portée à la littérature scientifique montre, à partir du milieu des années 1970, un changement de perspective dans les recherches portant sur les haies : influencées par le développement de l’écologie scientifique, notamment de l’écologie du paysage (Baudry & Jouin, 2003; Forman & Baudry, 1984), elles ont conduit à considérer les haies comme des systèmes écologiques pouvant favoriser le maintien des ressources biologiques, aquatiques, pédologiques, etc. C’est cette perspective qui sera à l’origine des réflexions du Grenelle de l’Environnement aboutissant à la mise en place de la Trame Verte et Bleue (TVB) en 2007.

   Ce dispositif visant à favoriser la conservation des habitats naturels, des espèces et le bon état écologique des masses d'eau grâce à la mise en place de «réservoirs de biodiversité » et de « corridors écologiques » a, depuis lors, fait l’objet de plusieurs recherches en sciences sociales. Ces dernières ont été essentiellement menées dans la perspective d’une analyse des politiques publiques de conservation de la biodiversité (Charvolin et al., 2011; Fortier, 2009; Vimal et al., 2012) et seulement quelques-unes se sont spécifiquement intéressées à l’implantation de haies ainsi qu’aux haies elles-mêmes. D’après ces études, il apparaît que si l’utilité des haies n’est pas remise en cause par les agriculteurs, celle-ci reste néanmoins appréciée en fonction de leur conditions de travail et du maintien d’une certaine productivité (Candau & Ginelli, 2011). Les haies engagent non seulement un rapport à soi (à l’intime car elles préservent des regards, aux générations précédentes parce qu’elles peuvent être considérées comme un héritage) mais également aux autres acteurs (chasseurs, responsables politiques, nouveaux habitants, etc.) d’un territoire qui est peu à peu devenu un espace de conservation et de loisir au sein duquel les agriculteurs ne sont désormais plus les seuls habitants (Petit & Vandenbroucke, 2017).

   Investies d’une rationalité instrumentale autant que d’une relation sensible, esthétique et patrimoniale (Larrére, 2002), l’intérêt des haies semble donc aujourd’hui faire consensus et permettre la coopération d’acteurs hétérogènes comme les agriculteurs, les chasseurs et les écologistes. Toutefois, elles peuvent également être source de conflits. Nous pouvons, par exemple, penser aux disputes concernant les frontières et les limites de propriété lors du choix du lieu de leur implantation ou encore aux responsabilités relatives à leur gestion et leur entretien.

   Les haies apparaissent alors comme un potentiel objet de controverse venant interroger notre capacité à construire un territoire, si ce n’est un « monde » commun – au sens de « l’agencement de tous les êtres qu’une culture particulière lie ensemble dans des formes de vie pratique » (Latour, 2010). à l’heure ou? la protection des milieux nécessaires au cycle de vie des espèces est reconnue comme essentielle, il convient donc de chercher à mieux comprendre cet objet « hybride » composé de « nature » autant que de « culture ».

 

 

Objectif de l'action :

 

Adoptant une approche soulignant la diversité des points de vue et des relations que les individus entretiennent avec le monde qui les entoure et qu'ils façonnent (Descola, 2011), l'Objectif de cette recherche sera de mieux comprendre la multiplicité des rapports que les habitants des expaces ruraux entretiennent avec les haies.  

Plus précisément, nous partirons de l'hétérogénéité des habitants de ces espaces ruraux - qui peuvent être des agriculteurs, des chasseurs, des naturalistes, des néo-ruraux, etc.- pour interroger la diversité des formes de qualification des haies et ce qu'elles représentent (gain de productivité, beauté du paysage, niche à biodiversité, protection de la ressource en eau). Dès lors, ces rapports aux haies - que nous postulons comme étant situés et différenciés - seront étudiés à travers deux dimensions.

 

1 - D'une part, le choix d'implanter des haies revêt des enjeux pratiques, esthétiques, patrimoniaux, etc. qui, venant modifier l'environnement proche des acteurs, suceptibles de générer des tensions voire des disputes. C'est pourquoi nous porterons attention à la manière dont les rapports aux autres, humains comme non-humains (végétaux, gibiers, etc.), sous tendent la construction collective d'un espace habité, voire d'un paysage.

 

2- D'autre part, les haies étant essentiellement perceptibles sous la forme de lignes végétales en surface, c'est l'objectif de sauvegarde de la biodiversité faunistique et floristique que leur fonction semble le plus souvent réduite. Pourtant, leur implantation vise aussi à la préservation du bon état des masses d'eau. En raison de son caractère invisible, cette action des haies ne reste-t-elle pas méconnue voire ignorée ? Estimant qu'il est nécessaire de donner de nouvelles dimensions à notre attention et de prendre en compte l'épaisseur du sol (et non plus seulement la ligne d'horizon) dans nos analyses (Aït-Touati et al., 2019), nous nous interresserons donc également à la façon dont est perçu le lien entre les haies et la protection des ressources en eau.

 

Enfin cette recherche, grâce à la compréhension fine de ce qui se joue entre les différents acteurs du territoire autour des haies, permettra aux porteurs de ce projet de plantation d'arbres de développer des outils de travail et de communication avec les personnes habitant au sein du Parc Naturel Régional du Doubs horloger.

 

 

Méthodologie de l'action :

 

 

Notre action de recherche se déroulera sur le "plateau de Maîche-Indevillers", située au sein du Parc Naturel Régional du Doubs horloger, dont l'une des principales actions développée dans les années à venir sera la restauration de la trame verte et la médiation auprès d'acteurs directement concernés par les haies (agriculteurs, élus,...).

 

La méthodologie envisagée pour cette action passera tout d'abord par une campagne de 20 entretiens avec des acteurs aux caractéristiques hétérogènes (responsables locaux, agriculteurs, chasseurs, naturalistes, néo-ruraux, etc.) ayant comme point commun d'habiter sur le territoire du "plateau de Maîche-Indevillers".

 

Nous envisageons également d'accompagner nos différents enquêtés lors de sorties sur le terrain "à la rencontre des haies" - ou des lieux d'implantation passée ou furture. En sortant du cadre de la relation de face à face construite lors d'un entretien et en invitant les personnes rencontrés à s'exprimer grâce à la médiation de l'environnement, nous espérons ainsi faire émerger de nouveaux éléments et compléter les informations recueillies.

 

Enfin, nous procéderons à l'observation de "session d'animation" qui seront coanimées par la Fédération Départementale des Chasseurs du Doubs et le PNR du Doubs Horloger dans le territoire couvert par le Parc (action numéro 3 du projet ci-déposé). Pouvant être considérés comme de potentiels entretiens de groupe au sein desquels vont se déployer des échanges d'arguments, ces sessions nous permettront de comprendre plus finement les principes permettant aux différents acteurs de justifier leur mode de qualification.