Doctorant en sociologie depuis 2020
Sous la direction de Florent SCHEPENS.
Travaillant dans une salle de concert et sur les festivals de la région Bourgogne Franche-Comté en tant que barmaid pour financer ma thèse et menant une recherche sur les consommations de produits psychoactifs, j'ai mis en œuvre, sans que cela soit réellement intéressé dans un premier temps, une observation participante « discrète ». C'est après 1 an d'observation flottante que je me suis rendu compte de l'intérêt de travailler sur ce terrain.
En effet, la consommation de drogues sur le lieu de travail paraît normalisée pour un certain nombre de travailleurs dans le milieu culturel. Le technicien du spectacle a un travail qui use le corps. Les techniciens doivent porter des charges lourdes, sont soumis à des volumes sonores élevés et ont des horaires décalés. Selon le code du travail (article L 212-1) « la durée quotidienne de travail effectif par salarié ne peut excéder 10 heures ». Dans la réalité cela n'est pas appliqué. Les techniciens travaillant sur des festivals peuvent faire des journées de plus de 15h, parfois sans avoir 8h de repos entre 2 journées de travail. Un intermittent du spectacle doit avoir travaillé au minimum 507h dans les 12 mois pour prétendre aux allocations chômage ce qui peut l'obliger à accumuler de nombreuses heures sur de courtes périodes. Ils ne peuvent se permettre de refuser des contrats pour avoir le maximum de chance d'être rappelé.
Les techniciens doivent savoir jongler avec leur emploi du temps pour se rendre au maximum disponible et également élaborer une relation de confiance pour de futurs demandes (Schepens, 2013). Dans ce cadre, la consommation de produits psychoactifs (il est question dans cette recherche des 4 drogues les plus consommées en France, soit : le tabac, l'alcool, le cannabis et la cocaïne) (OFDT, 2022) n'est pas uniquement récréative mais a également pour but de pallier la pénibilité imposée par leurs conditions de travail. Cannabis et cocaïne, comme dans le bâtiment (Ngo Nguene, M. Loriol, 2015), permettent de pallier les douleurs et la fatigue. Cependant et contrairement à ce que démontre, Fabien Brugière (2016) au sujet des ouvriers aéroportuaires, les intermittents ne semblent pas lutter contre un mal-être au travail, leur activité reste le support de leur identité sociale (Loriol, 2015).
Je m'intéresse alors au « travail de santé » (Lhuilier, Waser, 2016) des techniciens qui les pousse à consommer des drogues pour résister et se maintenir en activité afin de préserver leur identité donc leur santé psychique (Doucet, 2016). Offrir un verre, une cigarette, une taffe dans un joint ou encore une trace de cocaïne, permet également de négocier les relations au sein du travail (Becker, 1982), que ce soir les artistes avec les techniciens pour avoir la plus belle lumière possible, un régisseur avec un technicien, pour lui donner envie de revenir travailler. Le produit psychotrope fait parti de l'ordre des négociations (Tessier, 1997). J'ai également pu voir un effet de génération.
Si les « anciens » se sont formés « sur le tas » car aucunes formations n'existaient (le DN MADE, diplôme nationale des métiers d'art et du design a été créé en France en 2018), les nouvelles générations sont passés par cette formation cadrée comme produire et diffuser les documents : planning, plans d'implantation sur des logiciels spécifiques, synoptiques, conduites, etc ; respecter et faire respecter la législation en vigueur (visant les travailleurs et le public) etc. Je ne peux dire qu'elles ne consomment pas sur le lieu de travail, mais ces nouvelles générations de techniciens, par soucis de préserver leur santé, consomment plutôt à la fin de leur service (dans le but de se détendre et de faire lien avec leur entourage professionnel), (Buscatto et all., 2008). C'est également pour garder la face et une bonne image auprès des futurs recruteurs, à l'instar des professionnels tel que décrit par M. Loriol (2017).